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Depuis des siècles les Niçois et les Provençaux s’entendent comme chiens et chats comme le dit un ancien proverbe niçois. Le récent “congrès” du Parti de la Nation Occitane à Nice est l’occasion de le rappeler et d’expliquer les motifs de ce grand désamour. Il faut préciser tout d’abord que “l’Occitanie” telle qu’elle a été appréhendée par ses inventeurs s’étend sur un immense territoire réparti sur 33 départements qui va de Toulouse à la Provence et déborde en Catalogne et dans certaines vallées italiennes ; ceux qui voient cet ensemble hybride comme une seule entité, s’appuient sur une ancienne similitude de langage, à savoir la langue d’Oc.

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Cette théorie pêche évidemment par une méconnaissance volontaire des réalités : la différence de vécu historique de ces régions, leurs particularismes et le manque de volonté commune de peuples qui ont des intérêts divergents ; le pays de Nice en est l’exemple le plus évident. L’intellectuel niçois Stéphane Bosio écrivait très justement : “Ce qui crée l’individualité d’une population, c’est la somme de ses intérêts et de ses affections, déterminant en elle la volonté de former une commune, une province, un Etat, quelle que soit la langue qu’elle parle, quelle que soit la configuration géographique du pays qu’elle habite”. La Provence fait partie de l’Occitanie et par contre coup, le pays de Nice revendiqué par la Provence serait une petite sous préfecture vassale de l’Occitanie. Et là le bât blesse car les Niçois, depuis toujours refusèrent opiniâtrement l’autorité provençale et s’érigèrent même en municipes indépendants en 1108.

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Cette année, nous fêtons le 900e anniversaire de cet événement majeur, évidemment passé sous silence. C’est pour échapper aux Anjou, maîtres de la Provence que les Niçois signèrent en 1388 la charte de dédition avec la Maison de Savoie. En 1706, quand Louis XIV parvint à réduire provisoirement Nice, les Niçois stipulèrent comme condition dans l’acte de capitulation de ne jamais être rattachés au Gouvernement général de Provence ; le roi accepta et se proclama habilement comte de Nice ; ainsi les Niçois n’eurent pas de compte à rendre à la Provence. En 1792 la soldatesque révolutionnaire qui envahit et pilla Nice était composée essentiellement d’éléments provençaux ; en 1860, les Comités pro français qui truquèrent le plébiscite, ainsi que le préfet impérial du Var, firent inscrire en masse et illégalement sur les listes électorales des prétendus “cousins provençaux” qui furent très mal accueillis quand ils vinrent en renfort pour faire la claque lors de la passation de pouvoir à la France… Tout ceci ne scella pas une histoire d’amour entre Nice et la Provence. Depuis, Marseille vampirise Nice économiquement, bénéficie de toutes les aides et vient de se voir assigner par le président de la république française le rôle de capitale du monde méditerranéen à notre détriment…

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Le maître à penser des Occitans est le célèbre Frédéric Mistral. L’auteur de Mireille, avec six intellectuels, fonda le Félibrige en 1854 dans le but d’assimiler tous les particularismes du Sud. Les autorités françaises ne furent pas étrangères à la mise ne place de ce mouvement culturel censé fédérer les pays du Sud autour de la Provence et donc de la France qui de surcroît voulait s’emparer du pays de Nice. Plus tard, en 1880 le mouvement occitan tenta une implantation à Nice en créant une antenne félibréenne “l’escola Bellanda”. le 5 mars 1882 la “Maintenance de Provence” tint son assemblée à Nice en présence de Mistral. Lors de l’inauguration de “l’escola Bellanda” il tint un discours qui hérissa les vrais Niçois : “…Qui m’aurait dit alors, que, peut-être trente ans après, en revenant à Nice, que la trouverais française et de plus en plus provençale, avec sa vaillante “école de Bellanda” qui arbore dans l’azur de votre golfe merveilleux, le gai drapeau du Félibrige… Que toujours, belle Nice, tu t’épanouisses au soleil pour l’honneur de la Provence, pour la gloire de la France…”

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Beaucoup de Niçois furent choqués qu’une association soit créée à Nice “pour l’honneur de la Provence et la gloire de la France” et qu’elle porte le nom de “Bellanda” appellation évoquant l’ancien château de Nice, rasé par les troupes françaises et provençales… Ils ne comprirent pas non plus pourquoi leur ville devait “s’épanouir pour l’honneur de la Provence et la gloire de la France” alors que ces dernières se servaient uniquement de Nice comme bouclier militaire à leurs frontières et que l’aide de France qui n’y construisait que des casernes, était plus que chiche. Nice devait effectivement s’épanouir, mais pour elle-même, et au bénéfice des Niçois…

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Un long combat s’engagea entre les défenseurs de Nice et les Provençaux désireux de niveler les particularités niçoises. Derrière les considérations linguistiques et culturelles se profilaient évidemment des raisons politiques que l’on ne pouvait alors évoquer car Paris exerçait un centralisme quasi dictatorial. C’est donc sous le prétexte de défendre les particularités linguistiques niçoises que beaucoup d’érudits niçois défendirent bec et ongles l’exception historique qui faisait de leur ville, anciennement indépendante, une entité à part. Cette lutte laissa bien des cicatrices. L’érudit avocat Pierre Isnard dans un discours pourtant prononcé en l’honneur de mistral en 1930, en profita pour décocher une flèche acérée aux Provençaux, ainsi qu’un avertissement : “… Le 5 mars 1882, lors d’une assemblée générale de la Maintenance provençale à Nice, le Varois Sardou, encouragé par le gouvernement, fonde avec des étrangers à notre province, l’Ecole Bellanda. Cette tentative impopulaire échoue, mais apporte parmi nous un trouble non encore dissipé… Nice à son particularisme qu’elle conserve avec piété et qu’elle défend âprement. Avec son comté, elle entend rester une province spéciale…” La lutte se porta ensuite à l’Acadèmia nissarda ; Isnard adressa une lettre sévère au secrétaire général Joseph Giordan qui avec son association le Caireu militait pour la provencialisation du Nissart : “... Je ne vous cache pas qu’il m’a été très pénible de vous voir prendre la tête du mouvement provençal à l’Acadèmia, engager la lutte et mener le combat pour essayer de faire adopter des formules provençales juste au moment ou le Caireu fait publier que ses membres écriront désormais le Niçois avec l’orthographe mistralienne pure. La position que vous avez prise me paraît d’autant plus étrange que vous n’écrivez pas en Niçois et que vous m’avez souvent dit que la question du système de l’orthographe vous importait peu ; elle crée dans tous les cas une fissure très regrettable dans notre bloc… Quoi qu’il advienne, je demeure plus que jamais fidèle à notre drapeau…”

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Après la publication par Isnard de la fameuse lettre du journaliste Fenochio écrite en 1860 qui fit scandale (elle relatait la colère des Niçois le jour de la passation des pouvoirs à la France et évoquait un “peuple rivé à ses chaînes”), la “regrettable fissure” devint brèche et la fine fleur des érudits niçois : Pierre Isnard, Louis Cappatti, Stéphane Bosio, Eugène Ghis et Edmond Raynaud, démissionnèrent, de l’Acadèmia qui n’était plus niçoise mais française, la décapitant pour longtemps. Eugène Ghis conclut ainsi un très brillant article publié dans l’Armanac de 1928 à propos du “Trésor du Félibrige” censé unifier la langue provençale : “Les interpolations prétendues nissardes du “Trésor” de Mistral trahissent outrageusement notre parler… On y rencontre presque autant d’inexactitudes qu’il y a d’expressions prétendument nissardes et ces inexactitudes ne sont pas purement superficielles, les erreurs sont foncières… Pour avoir l’unité, le graphologue a dû détruire le parler dissident et ce sera la morale de mon histoire : quand on veut assimiler sous quelque rapport que ce soit le Nissart au Provençal on est conduit fatalement à supprimer le Nissart…”